25.11.06

094 - Classifiction

D'où viennent les sept couleurs de l'arc en ciel ? Et pourquoi sept, au fait ? Aristote, n'en voyait que 3 : le rouge, le vert et le violet... C'est Newton qui, le premier a décrit un arc-en-ciel se décomposant en 7 couleurs distinctes : violet, rouge, orange, jaune, vert, bleu, et... indigo !

D'où sort ce petit dernier ? La clé de l'énigme est donnée dans un texte de Jean-Marc Levy-Leblond : Newton, pour des raisons purement « idéologiques », liées à la nécessaire perfection de l'œuvre divine, voulait absolument trouver autant de couleurs dans l'arc-en-ciel que d'intervales dans la gamme diatonique. D'où l'apparition de ce mystérieux indigo, sorte de bleu-violet dont le fantôme continue de hanter nos arcs-en-ciel contemporains...

Mais le pire de l'histoire est que cette manipulation à la limite de l'escroquerie anticipe brillament - via les notions de longueur d'onde liées à la notation musicale - sur une théorie ondulatoire de la lumière qui ne verra le jour qu'un siècle plus tard ! La morale de l'histoire ? Euh... Le génie frise parfois l'escroquerie ? A moins que ce soit l'inverse ? C'est pas ça du tout :
Toute classification, aussi scientifique qu'elle se veuille, est toujours tributaire de la langue commune. Même lorsque cette classification prétend s'appuyer sur un formalisme extérieur accepté - ici, les notes de la gamme musicale -, elle ne peut jamais s'en tenir à un langage totalement mathématisé. La science doit toujours en passer par des mots. (...) En d'autres termes, toute science comporte nécessairement une part de fiction. Impossible de résister à l'idée que la science, quand elle classe, produit des classifictions.
Jean-Marc Lévy-Leblond : La vitesse de l'ombre.

24.11.06

093 - Don à l'étalage

Le don à l'étalage, c'est presque aussi simple que le vol du même nom :
Le Don à l’étalage (D.A.E) est une pratique de piratage du système marchand qui consiste à déposer des objets gratuits dans les rayons des commerces, sans autorisation. On peut ainsi (...) mettre des CD gravés gratuits dans les bacs des grands disquaires, des brochures photocopiées gratuites dans les rayons « nouveautés littéraires », des DVD gravés ou des K7 vidéos dans les rayons blockbusters, etc.
En fait, pratiquer le don à l'étalage revient un peu à étendre au monde physique une pratique déjà ancienne dans le virtuel : la copyleft attitude inventée en 1985 par Richard Stallman à l'occasion du projet GNU. Sauf que dans la réalité réelle, ça nécessite bien plus d'efforts ( ça suppose de fabriquer des objets un par un ! ) et en plus c'est peut-être illégal... C'est en tous cas ce que semblent penser les responsables de la Fnac :
Madame, Monsieur, Nous avons retouvé dans notre magasin Fnac de Marseille au centre Bourse, des disques comportant l’adresse à laquelle je vous écris. (...) Vous comprendrez que pour des raisons légales concernant le droit de la consommation et impliquant notre responsabilité, nous ne pouvons en aucune manière accepter cette pratique. Ainsi je vous prie de rappeler aux auteurs de ces dépôts que cette pratique, malgré sa générosité, est interdite. Notre service de sécurité pourra à l’avenir procéder à l’interpellation des personnes qui s’en rendent coupables.
« Agitateur culturel, » qu'y disaient ? Mouais...

uZine : Apologie du Don à l’étalage
Culture libre
Voir aussi : 013 - Attentat poétique

21.11.06

092 - La vie comme orage chimique

Dans l'atmosphère, un éclair est un canal qui se forme spontanément pour transporter de l'énergie entre deux réservoirs de potentiel (électrique) différent. Même chose pour un cyclone, sauf que la différence de potentiel est calorique.

Et si la vie était un phénomène du même ordre ? C'est l'idée proposée par Harold Morowitz et Eric Smith dans un papier publié par Nature. La vie serait l'équivalent chimique de l'orage ou du cyclone :
Tandis que les phénomènes météorologiques impliquent essentiellement des transports de matière et des changements d'état physiques, la vie, elle, crée des canaux de transport dans le domaine chimique, utilisant les flux d'énergie associés aux réarrangement moléculaires.
L'apparition de la vie sur Terre, serait une simple conséquence thermodynamique d'un trop plein d'énergie cherchant - en quelque sorte - un canal d'évacuation... Il ne faudrait donc pas la considérer comme un miracle, mais au contraire comme le passage de la planète à un état plus stable. La vie, donc, serait inévitable.

Et puisque la forme de l'éclair, comme celle du cyclone, peut être prédite par la mécanique statistique à partir des conditions atmosphériques initiales, les lois de la physique et de la chimie devraient suffire à décrire les premiers stades de la vie. Si cette hypothèse se confirmait, elle signifierait que l'Univers foisonne de vie et - plus inattendu - que ses formes primitives sont partout les mêmes ! Quant à son évolution ultérieure, elle échappe heureusement au déterminisme physico-chimique. Les petits hommes verts et les monstres gélatineux de l'espace ne sont pas disqualifiés !

Energy flow and the organization of life

17.11.06

091 - Régrès

Géographe, historien, militant anarcho-humaniste, chantre du naturisme et du végétalisme, Elisée Reclus (1830-1905) avait sans doute ou ou deux siècles d'avance sur son époque, dont il ne goûtait guère le positivisme triomphant :
De quels chants de triomphe en l’honneur du progrès n’ont pas été accompagnées les inaugurations de toutes les usines industrielles avec leurs annexes de cabarets et d’hôpitaux ! (...) Et de quelle nature est le prétendu progrès pour les gens du Kamerun et du Togo qui ont l’honneur d’être abrités désormais par l’étendard germanique ?
Face à cette idée du progrès basé sur l'Industrie et la Conquête, Elisée Reclus imagine la notion de régrès : le fait général est que toute modification, si importante qu’elle soit, s’accomplit par l’adjonction au progrès de régrès correspondants.

Pourtant, Elisée Reclus n'est pas un décliniste, bien au contraire ! Il croit fermement à l'idée de progrès humain, mais un progrès qui consiste à trouver l’ensemble des intérêts et des volontés commun à tous les peuples, un progrès qui se confond avec la solidarité. Quant au déclinisme, il explique ainsi son origine :
Les enfants ont une tendance naturelle à considérer leurs parents comme des êtres supérieurs, et ces parents en avaient fait autant pour leurs pères ; le résultat de tous ces sentiments, se déposant dans les esprits comme des alluvions sur les bords d’un fleuve, eut pour conséquence de faire un véritable dogme de la déchéance irrémédiable des hommes.
Wikipedia : Élisée Reclus
RA Forum : Élisée Reclus - L’Homme et la Terre

13.11.06

090 - Exo-darwinisme

La technologie, pour Michel Serres, est un processus d'externalisation des fonctions corporelles. Le marteau externalise le poing ; la roue externalise la rotation de la hanche, etc... L'homme est un animal dont le corps perd (des fonctions). Ce qui est nouveau dans les « nouvelles technologies », c'est qu'elles externalisent des fonctions cognitives comme la mémoire, qu'on pensait jusqu'ici comme partie intégrante du sujet lui-même ! Aujourd'hui, ce n'est plus le cas :
Nous sommes libérés de l'écrasante obligation de mémoire.
Nous sommes condamnés à devenir intelligents !
Mais si nos fonctions corporelles sont ainsi externalisées, objectivées par la technique, que devient le processus de sélection naturelle ? Que devient l'évolution ? La technique, pour Michel Serres participe d'un exo-darwinisme qui permet à l'homme d'échapper à la pression évolutive due à son environnement... Par exemple, depuis le vêtement, le poil n'est plus un caractère soumis à la sélection naturelle. Idem depuis le le livre, pour la capacité de mémorisation brute. Ce n'est plus le corps qui perd des fonctions c'est l'esprit ! La bonne nouvelle c'est que :
On voit très bien qu'au cours de l'histoire, chaque fois qu'on a perdu quelquechose, on a gagné quelquechose qui était à l'étage au dessus de ce qu'on perdait.
Bref, à tous ceux qui se demandent Where is the information we have lost in Google ? Michel Serres répond que la question intéressante, n'est pas tant « Qu'est-ce qu'on a perdu ? » mais plutôt « Qu'est-ce qu'on est en train de gagner ? »

Conférence de Michel Serres à l'Ecole polytechnique

6.11.06

089 - Papy-krach

Le papy-krach est le titre d'un livre de Bernard Spitz, qui se présente comme un bilan économique du partage des ressources entre les baby-boomers et les générations suivantes. Et le bilan est sombre !
Le programme qui s'annonce pour la jeunesse de France, c'est tout simplement le plus grand hold-up de l'histoire, celui de la spoliation de plusieurs générations sacrifiées qui semblent ne toujours pas réaliser ce qui les attend.
Résumons : la répartion actuelle des ressources favorise les vieux ! les jeunes d'aujourd'hui sont ceux qui subissent le plus de chômage, en ayant reçu le moins en termes d'éducation. Les retraites, elles, restent élevées et l'âge de départ ne suit pas l'allongement de la durée de vie.

Du coup, les plus de 60 ans ont aujourd'hui un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne des actifs. Et - pire encore - le système actuel, financé par une augmentation permanente de la dette, risque d'imploser avant que ces mêmes jeunes ne soient en âge d'en profiter... La vraie question, selon Bernard Spitz, c'est : pourquoi les jeunes générations ne défendent-elles pas leurs intérêts ?
Ils ont bien protesté, au rythme d'environ une fois tous les deux à trois ans en moyenne. Mais pour lutter contre quoi ? A quoi ont-ils consacré leurs cartouches protestataires ? A rien d'essentiel pour leur avenir. [Au lieu de ça] ils ont fait le jeu des professionnels de l'instrumentalisation, du conservatisme et des corporations.
Sans un programme de réforme à court terme, l'égoïsme des plus âgés et l'inaction des plus jeunes se conjuguent pour préparer éclatement de la société française dans un clash entre générations.

Le blog du papy-krach
Libération : Génération sacrifiante

3.11.06

088 - Non-empiètement des magistères

Le non-empiètement des magistères (en VO : Non Overlapping MAgisteria, ou NOMA ) est l'idée, défendue par Stephen Jay Gould contre les créationnistes de tous poils, que la Science et la Foi appartiennent à deux niveaux de connaissance distincts, qui ne se chevauchent pas :
Le principe de NOMA prône le respect mutuel, sans empiètement quant aux matières traitées, entre deux composantes de la sagesse dans une vie de plénitude : notre pulsion à comprendre le caractère factuel de la Nature (c'est le magistère de la Science) et notre besoin de trouver du sens à notre existence et une base morale pour notre action (c'est le magistère de la Religion).
Les créationnistes détestent l'idée, mais certains scientifiques, moins pacifistes que Gould, ne l'aiment pas non plus. Dans un article récent, Richard Dawkins s'attaque avec virulence au bon vieux NOMA. Si on va au delà d'un vague panthéisme, explique-t-il, si on pense que Dieu est le créateur de l'Univers, alors Dieu devient de facto une hypothèse scientifique. Et, en tant qu'hypothèse scientifique, il est assez mauvais !
Non seulement l'hypothèse de Dieu n'est pas nécessaire, mais elle manque en plus spectaculairement de parcimonie. Non seulement nous n'avons pas besoin de Dieu pour expliquer l'univers et la vie, mais Dieu est clairement - et de loin - l'idée la plus superflue du monde. On ne peut évidemment pas prouver Son inexistence, pas plus que celle de Thor, des fées, des lèprechaumes ou du Flying Spaghetti Monster. Mais, de Dieu comme de ces autres fantaisies, on peut dire qu'il est très très improbable.
La Tribune : le principe de NOMA
Richard Dawkins: Why There Almost Certainly Is No God

Voir aussi : Intelligent design - Flying Spaghetti Monster - Déshellénisation