22.5.07

113 - Anaphore

Bon, d'accord, c'est vrai : j'ai manqué à mon promesse d'au point un post par semaine... C'est mal. Mais foin de la repentance qui est, comme on sait, une forme de la haine de soi. Pour me faire pardonner, j'ai découvert la vraie raison de l'élection de Nicolas Sarkozy. La vraie raison de l'élection de Nicolas Sarkozy c'est l'usage massif de l'anaphore. Oui, l'anaphore : cette figure de rhétorique, qui se caractérise par la répétition d'un même mot ou d'un même segment en tête de vers ou de phrase...
Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore ! (1)
Des anaphores, le candidat Sarkozy en a commis une quantité assez colossale durant la campagne...
Nous devons être capables de proposer aux peuples européens une Europe dotée d’un gouvernement économique qui défende les intérêtes des Européens.
Nous devons être capables de leur proposer une Europe où un rapprochement européen d’entreprises ne puisse pas être interdit parce qu’il est présumé pouvoir engendrer un abus de position
dominante.
Nous devons être capables de leurproposer une Europe où les dogmes de la concurrence n’interdisent pas les politiques industrielles. (2)

Vous reconnaissez le procédé ? C'est pas du Corneille, mais c'est tout comme : c'est du Henri Guaino ! Même si l'anaphore n' a pas fait directement élire Nicolas Sarkozy, elle a au moins joué un rôle emblématique dans le succès d'une rhétorique largement basée sur... la répétition. Si Arlette reste la championne toutes catégories, Nicolas Sarkozy arrive bon second au palmarès du copier-coller, avec un taux moyen de recyclage de 24 % sur l'ensemble de ses discours de campagne. Damon Mayaffre linguiste au CNRS, a -par exemple- compté 241 occurences du mot autorité en 43 meetings. Et 39 fois la formule "nous n'avons pas le droit de..."
Il [Nicolas Sarkozy] a toujours utilisé des phrases courtes et concises - alors que sa concurrente socialiste employait des phrases longues nourries d'incidentes - dont le propos était repris, martelé et amplifié par de nombreuses figures de répétition, telle l'anaphore rhétorique ("Ma France, c'est celle de tous les Français (...). Ma France, c'est celle des travailleurs..."), technique oratoire qui cherche à fixer des vérités et à entraîner l'adhésion des auditeurs. Comme s'il s'agissait de donner dans la syntaxe et le rythme des énoncés un équivalent de ce que serait son attitude à la tête de l'Etat : persévérance dans l'action et recherche de résultats rapides. (3)
Cela dit, s'il suffisait d'employer massivement l'anaphore pour se faire élire, ça se saurait. Tenez, celui-là, par exemple :
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte... (4)
Eh ben il a jamais réussi à se faire élire nulle part !

(1) Horace - Pierre Corneille
(2) Nicolas Sarkozy - discours à Strasbourg, 21-01-07
(3) Le Monde - Sarkozy, le poids des mots, par Michel Erman
(4) Arthur Rimbaud - Illuminations

Voir aussi : 107 - Pataphore