29.3.10

146 - Paradoxe de Moravec

Au lendemain de la guerre, dans la foulée de l'apparition de l'ordinateur, les premiers informaticiens ont pour but de construire une machine intelligente, capable de reproduire les capacités du cerveau humain. Il pensent que cet objectif est à leur portée, et imaginent résoudre à brève échéance des problèmes plus simples tels que la traduction automatique. 70 ans plus tard, on a quasiment renoncé à l'idée d'automatiser entièrement la traduction, et malgré le progrès exponentiel des capacités de traitement, la machine « intelligente » reste au rayon SF, pas très loin de la téléportation et du voyage dans le temps.

22.3.10

145 - Etat agentique

Qu'est-ce qui peut transformer un Français moyen, voire plutôt sympa, en un tortionnaire capable d'envoyer des décharges électriques de 450 volts à une victime innocente qui supplie qu'on la laisse partir ? C'est le passage du dit Français à un mode particulier que les psychologues ont baptisé état agentique.

15.3.10

144 - Libéralisme bureaucratique

Dans la famille oxymore je voudrais le libéralisme bureaucratique. C'est le titre d'un livre écrit par un professeur suisse d'administration publique en 2004 (1), mais c'est sous la plume d'Yves Michaud que je l'ai personnellement découvert, niché dans la quatrième partie d'une note à épisodes dédiée au livre de Francis Brochet : La grande rupture. (2)

8.3.10

143 - Théorème poétique

Théorèmes poétiques est le titre d'un livre de Basarab Nicolescu paru en 1994 aux éditions du Rocher (1). Théorème poétique ! Je  sais pas vous, mais moi je n'ai jamais pu résister à un bel oxymore. Surtout quand l'oxymore en question semble contenir la promesse d'un lien  mystérieux entre sciences et expression artistique...

Première déception : le livre est épuisé. Mais on pourra se rattraper en assistant (le 30 mars au Palais de la Découverte) à une conférence de Basarab Nicolescu intitulée Sciences, arts et imaginaire...  dont l'abstract explique ceci :
Un fait semble certain : c'est ce qu'on pourrait appeler la réalité de l'imaginaire. La conformité entre la pensée humaine et la structure des lois de la nature est un domaine ouvert, dont une exploration systématique permettrait d'éclaircir de nombreuses questions concernant la relation entre le réel et l'imaginaire et la finalité de la connaissance.
C'est à dire en gros : explorer la relation qui existe entre la pensée et le réel permettrait d'éclaircir la relation qui existe entre le réel et la pensée. Difficile de ne pas être d'accord ! Mais bon... Si, comme moi, vous manquez de patience et essayez d'en savoir plus, vous découvrirez facilement que Basarab Nicolescu est un physicien français d'origine roumaine, chercheur au CNRS et président-fondateur d'un Centre international de recherches et études transdisciplinaires (CIRET). Si, comme moi, vous êtes l'auteur de ce blog, vous redécouvrirez alors via Google que vous avez déjà consacré un (très succinct) petit billet à cette idée de transdisciplinarité !

Et puis, arrivé sur la page web du CIRET, vous trouverez enfin de quoi étancher votre soif de lecture, en particulier les 20 numéros parus de Transdisciplinay Encounters (3), la revue électronique du CIRET. Transdiciplinarité, noosphère et ontologique de Lupasco... C'est dense. Pas du tout de bandes dessinées... et rien sur les fameux théorèmes poétiques.

Un peu plus loin sur le web, vous risquez bien de buter sur Jean Staune qui parle du théorème de Gödel comme du premier théorème poétique. Si vous voyez un peu où se situe le personnage (j'entends : celui de Jean Staune), et si vous êtes (toujours comme moi) un athée attaché à la pensée rationnelle, vous commencerez à douter d'être sur une bonne piste, et la lecture du texte ne vous rassurera pas !
Il n’est pas nécessaire de comprendre les équations de Gödel pour comprendre le théorème. On peut même les connaître parfaitement et n’avoir rien compris. Car comme certains mantras dont la répétition conduit à l’éveil, il faut vivre avec le théorème de Gödel, le méditer, jusqu’à ce que vous envahissent la beauté, l’évidence, la lumière, la douceur dont il est porteur. C’est le premier théorème de mathématiques qui ne peut être compris qu’avec le cœur, le premier "théorème poétique". (2)
Et puis pour finir, vous finirez probablement par découvrir une très longue page web pleine d'extraits du livre de Basarab Nicolescu... Là, vous comprendrez que le livre n'est pas consacré à, mais constitué de « théorèmes poétiques », lesquels ressemblent diablement à une collection d'aphorismes spiritualo-scientifico-mystiques à la Jean Staune, Bernard d'Espagnat et consorts. Exemple : 
Les poètes sont les chercheurs quantiques du tiers secrètement inclus. La rigueur de l'esprit poétique est infiniment plus grande que la rigueur de l'esprit mathématique. Il serait plus juste d'appeler " science exacte " la recherche du tiers secrètement inclus et " science humaine " la mathématique. (3)
Tiens, ça m'inspire à moi aussi un petit aphorisme : 
Prenez une idée triviale. Inversez les termes pour lui faire dire exactement le contraire de ce qu'elle dit au départ. Vous obtiendrez à peu de frais un effet de profondeur assez convaincant...
 Allez, un autre « théorème poétique » :
La manie moderne de chercher toujours la caution de la science est une manie perverse. Car la méthodologie de la science lui impose des limites infranchissables.(3)
Tout à fait d'accord avec la seconde phrase, mais la première est franchement comique chez un auteur qui explique à longueur de pages comment la physique quantique et le théorème de Gödel (the usual suspects !) invalident le principe de causalité et la pensée rationnelle (qu'il appelle la petite raison, r minuscule) et obligent à se tourner vers une mystérieuse spiritualité : la grande Raison, R majuscule. Arrivé à ce stade vous serez bien obligé de vous avouer à vous même qu'un joli oxymore n'est pas forcément le gage d'une idée très originale...

Mais vous n'aurez pas tout perdu car, nichées au milieu des exaltations métaphysiques et transdisciplinaires, vous trouverez quelques belles images avec lesquelles même l'athée le plus intransigeant peut se sentir en accord...
Avancer avec joie et sagesse comme un funambule sur le fil du rationnel tendu au milieu de l'infini océan de l'irrationnel. D'ailleurs, y a-t-il un milieu de l'infini ? (3)

1.3.10

142 - Vacances de pluie

La mode, au mois d'avril, est aux vacances de pluie, comme en hiver aux vacances de soleil, en été aux vacances de neige. On choisira un gîte en harmonie avec le charme monotone des longues averses, cher à la comtesse de Noailles. Par exemple une cave de banlieue. Avec une vue sur un terrain vague, par un soupirail grillagé. Près d'une usine. On y goûtera une paix profonde. On fera des lectures apaisantes, telles que celle des horaires de la SNCF. On jouira du fantastique et de la température des caves. Peut-être même, avec un peu de chance, un homme se pendra-t-il au dessus du soupirail. On pourra voir ses jambes balancées par le vent avec un pantalon pied-de-poule sur ses bottes noires. On sera pris de grandes exaltations, peut-être même de ces crises nerveuses que les médecins appellent "mal des spéléologues", car il arrive qu'un séjour dans les cavernes intoxique comme le chanvre indien. On reviendra affamé de la vie.
Que demander de plus à de modestes vacances ? (1)

(1) Alexandre Vialatte - Chroniques de La Montagne - 26 mars 1963