28.6.11

166 - Quantification de soi

Lu l'autre jour un article du Monde sur la conférence Quantified Self qui se tenait les 28 et 29 mai à Mountain View, Californie. La quantification de soi, c'est quoi ? C'est la capture, l'analyse et le partage de ses données personnelles. 

Qui n'a jamais eu envie de savoir combien il faisait de pas par jour ? Combien il achetait de cigarettes par mois ? Combien de nouveaux contacts il avait rencontré dans l'année écoulée ? Combien de personnes avaient parcouru la dernière note de son blog, celle sur la conjecture de Zahavi ? Tout ça -et bien plus- n'est plus seulement possible, c'est devenu facile grâce à la multiplication des capteurs et des infrastructures de données.
“Tout autour de nous est doté d’un éclat d’intelligence et génère des données. Chaque objet génère son flux de vie de données, de la chambre d’hôtel que vous occupez aux chaussures que vous portez”. Une voiture n’est désormais rien d’autre qu’une puce avec des roues, une chaussure une puce avec des talons… Et c’est dans cet espace cerné de ruisseaux de données que se déroule la “quantification de soi”. (1)
L'article du Monde donne tout un tas d'exemples de quantification plus ou moins utiles, telles que ce logiciel qui permet de surveiller et d'analyser le temps passé sur les différents outils informatiques et donc, de mesurer son degré de distraction (mais permet-il de mesurer aussi le temps perdu à mesurer son degré de distraction ?) ou ce site web qui regroupe les données uploadées par de nombreux asthmatiques (équipés d'inhalateurs GPS !) pour dresser une cartographie des secteurs les plus "irritants"...

Question : qu'est-ce qui peut pousser quelqu'un d'apparemment normal à utiliser un gps pour enregistrer ses joggings et à uploader ces données sur sur un site qui lui permet ensuite de consulter des statistiques détaillées sur l'évolution de ses performances ? Franchement je ne vois pas... Et pourtant, je le fais ! Dieu merci, je n'en suis pas à lister la composition de mes repas sur twitter ou à mesurer mes crottes de nez, mais je m'interroge tout de même : qu'est-ce que c'est que cette drôle de passion pour la mesure de soi ? Quel manque est-ce que cette pulsion vient combler ? Mystère et boule de gomme. Pour certains, c'est le moyen moderne d'accéder à la connaissance de soi, pour d'autres, c'est un esclavage 2.0.

Une chose est sûre : de ce côté-ci de l'Atlantique, les tentatives pour mesurer et/ou quantifier l'humain ont plutôt mauvaise presse... Faut dire aussi que ça a été l'une des passions typiques des sociétés totalitaires du XXème siècle, voire - en un sens - LEUR projet fondamental. Dans le domaine des sciences, cette obsession de la mesure appliqué à l'homme est considérée, au moins de puis la Seconde Guerre, comme une idée désuette et dangereuse (voir, par exemple La mal-mesure de l'Homme, de Stephen Jay Gould).

Mais qu'y a-t-il de commun entre les les délires anthropométriques des savants du XIXème et le mode soft, ludique et narcissique du quantified self  contemporain ? Au risque de décevoir certains, je dirais : pas grand chose. Là où l'anthropométrie tentait de normer l'humain, de classifier la diversité humaine, l'adepte moderne de la quantification de soi n'essaie plus de normer quoi que ce soit... Certes il ne méprise plus les autres races / types / groupes sociaux, mais il ne s'y intéresse plus vraiment non plus, tout occupé qu'il est de sa propre consommation de spaghettis. La quantification de soi apparaît comme une forme d'introspection, mais une introspection scientiste, désincarnée, numérique, un retour sur soi où les données brutes ont pris la place de toute transcendance. A moins que, comme ne pense Kevin Kelly, la quantification de soi se soit la prochaine étape de la transformation de l'Homme par l'Homme au moyen de la technique :
La technologie nous conduit à un soi étendu. Les animaux s’étendent eux-mêmes à travers leurs outils, comme l’expliquait McLuhan en évoquant la roue comme une extension du pied. Les ordinateurs sont une extension de notre cerveau… Mais jusqu’où cela peut-il aller ? La quantification de soi est vraiment le soi quantifiable. Nous nous rendons quantifiable, en nous implantant et en déglutissant des gadgets qui étendent notre quantifiabilité. Et cela ne concerne pas seulement ce qui est proche de nous : cela concerne également l’environnement dans lequel nous évoluons. Par l’autosuivi, les gens transforment leurs comportements pour les rendre plus quantifiables… ce qui en retour nous transforme. Toute la question est de savoir jusqu’où ? (1)

(1) InternetActu - Les limites de la mesure de soi
Voir aussi : 158 - Andromètre  125 - Hominescence

1 commentaire:

JoëlP a dit…

Comme dit le proverbe chinois:

Lorsque je me mesure, je me désole. Lorsque je me compare, je me console. ?

Oui, mais il y a quand même Jeannie Longo et dans un autre registre Rocco Siffredi